Si, comme moi, vous êtes nés dans les débuts de la génération Y, voire à la fin de la X, vous avez sans doute eu une relation particulière avec les jeux vidéos de l’époque et leur évolution. Fille ou garçon d’ailleurs. Ce domaine, devenu art malgré les controverses, bousculait tous nos sens avec de nouvelles expériences visuelles et sonores, mais aussi sociales et comportementales. Au delà du jeu lui-même, on souhaitait voir absolument à quoi ressemblait la nouvelle console Nintendo ou Sega qu’un copain voisin s’était fait offrir, on voulait ressentir l’ergonomie des manettes, toucher la cartouche de ses propres mains, scruter le packaging et même tout lire du petit livret d’utilisation parfois.
Concernant les bornes d’arcade, plusieurs choses sont ancrées dans ma mémoire : l’argent d’abord, les pièces de 5 ou 10 francs que je réclamais à mon père. Les sentir dans ma poche, les faire tournoyer entre mes doigts, puis les glisser dans le monnayeur, et entendre le doux son des crédits qui s’incrémentent. Et puis, il y a l’olfactif. Une borne, c’était dans les salles de jeux ou dans les bars, avec les flippers et les baby-foot, avec dans tous les cas une odeur particulière : un mélange de tabac, de bois, de plastique, de vieil électronique, de tubes cathodiques et …d’adolescent.
Toutes ces sensations, ces souvenirs, cette nostalgie, fait que le rétrogaming a pour moi une saveur particulière qui va au delà des anciens jeux eux-mêmes, même si bien sûr ils sont le centre fédérateur de ce souvenir. Mais tout ce qui gravitait autour, l’expérience sensorielle, humaine, et sociale de l’époque ont autant d’importance. Ce côté « tangible » de l’expérience fait à mon sens la réelle force du rétrogaming. C’est sans doute aussi pourquoi je ne ressens pas grand chose à l’idée de jouer à un vieux Super Mario sur mon PC actuel. Il manquerait la moitié de l’expérience, et ça fait trop de manque.
Les entreprises de l’époque ont bien compris l’engouement du rétrogaming, et leurs équipes marketing viennent de comprendre récemment le besoin aussi de faire revivre l’expérience sensorielle. C’est une des raisons pour lesquelles les consoles d’antan sont remises au gout du jour, en version mini, incluant plusieurs jeux cultes. C’est étrange de se dire qu’en 2019-2020 on réédite et commercialise avec succès une petite Super Nintendo, avec des manettes filaires…Encore heureux, la prise péritel a été remplacée. Dans un monde ultra numérique, « digital », où tout est dématérialisé, tout est sans fil, ce sentiment d’absence d’utilisation des sens, de vivre un objet, nous vient peut-être de l’âge de pierre. C’est ce que j’appelle personnellement le Syndrome du Vinyle. En effet, à l’heure où la musique est « streamée« , on vend en même temps un nombre croissant de platines et d’albums vinyle, et la raison est la même : Ressentir l’objet, aussi imposant qu’il puisse être, poser délicatement le diamant sur le sillon, avec pourtant le même objectif d’écouter la musique jouée…mais c’est bien l’expérience globale qui compte (dédicace aux UX Designer).
Il ne faut cependant pas se méprendre, bien entendu le jeu lui-même concentre un maximum de l’attention de l’époque. Nos éblouissements, nos surprises, nos galères, notre obstination, notre addiction, notre satisfaction. Le jeu vidéo a cette force d’intégrer plusieurs composantes dans l’expérience du joueur. Il met en jeu les sens, l’action, l’interaction physique, mais aussi des éléments de création et de créativité qu’on retrouve dans d’autres arts, tels que la musique, le dessin, l’écriture scénaristique et la mise en scène. Et puis l’accomplissement. Il y a toujours un objectif à atteindre. Aller au bout ou battre son adversaire.
L’époque rétrogaming c’est tout cela, c’est vivre un paradoxe. Vivre d’abord de nouvelles expériences révolutionnaires, sensorielles, artistiques et ludiques, et qui, cerise sur le gâteau, évoluaient sans cesse au rythme de la technologie. Mais c’est aussi pour nous, à l’époque, ne pas comprendre les réactions de rejet de la génération précédente face aux jeux vidéos, une génération qui en venait à nous stigmatiser tels des toxicomanes faibles raccordés au téléviseur par le câble de la manette. Très peu de parent à l’époque s’intéressait au sujet, ni même y jetait un œil curieux, donc bien sûr, impossible pour eux de vivre l’expérience. Mais la donne a changé, aujourd’hui c’est moi, parent de deux petits garçons, qui leur fait découvrir les jeux et sensations de l’époque, et force est de constater qu’ils y adhérent…